histoire

Pourquoi la Samaritaine est-elle un peu savoyarde ?

cognay jayMarie-Louise Cognacq-Jaÿ,
née dans le petit village de Samoëns,
a été la fondatrice, avec son mari,
de la célèbre Samaritaine à Paris.

Archives photo Le D L

 Extrait de l'article du Dauphiné

 

"On trouve tout à la Samaritaine !” Un slogan publicitaire qui a marqué la mémoire collective. La Samaritaine était le grand magasin de la capitale dans les années 1900 (il a fermé en 2005), le plus important en surface de vente avec ses 48 000 m², devant les Galeries Lafayette et Le Printemps. Une prestigieuse enseigne de la rue de Rivoli et du tout-Paris.
Mais la Samaritaine, c’est également une histoire d’amour. Celle d’Ernest Cognacq, commerçant parisien, qui épouse en janvier 1872 Marie-Louise Jaÿ, une ancienne première vendeuse du rayon des confections du Bon Marché.
Mais l’histoire oublie souvent celle de cette femme au parcours incroyable, née en Haute-Savoie, à Samoëns, sans qui rien ne serait arrivé.
C’est donc aussi l’histoire d’une jeune bergère qui décide de quitter son village natal à 15 ans pour aller tenter sa chance à Paris. Comme beaucoup à l’époque.
Alors qu’elle débute dans une boutique de tissus et vêtements, elle rencontre Ernest. Lui a déjà le local de la Samaritaine mais elle est une visionnaire, a un sens inné de la gestion et un don du commerce hors pair.
De leur union ne naîtra aucun enfant mais une gestion rigoureuse et souvent critiquée de leur empire, avec quelques millions à la clé et un héritage encore très présent, de Paris à la Haute-Savoie.
Avec leur fondation portant leur nom, Cognacq-Jaÿ, ils ont su marquer l’histoire. À Samoëns, Marie-Louise créa notamment une maison médicale pour loger un médecin qui soignait gratuitement les indigents.
C’est aussi elle qui créa le jardin botanique alpin, depuis légué à la ville, sous la direction scientifique du Museum d’histoire naturelle.
La Jaÿsinia regroupe aujourd’hui plus de 2 500 espèces du monde entier.

 

l'identité de la Savoie

"L'identité de la Savoie est d'abord liée à son histoire"

Par Olivier Le Naire

L’EXPRESS, publié le 20/04/2010 à 16:07

https://www.lexpress.fr/region/rhone-alpes/l-identite-de-la-savoie-est-d-abord-liee-a-son-histoire_884206.html

 Cent cinquante ans après, deux historiens - Bruno Berthier et Pierre Judet (1) - dressent le bilan du traité de réunion de la Savoie à la France, en 1860. Le fruit d'une très longue histoire. Entretien.

Nous en sommes à la quatrième commémoration de la réunion de la Savoie à la France. En quoi les précédentes furent-elles différentes de celle-ci?

Pierre Judet: En 1892, on fête le centenaire de la conquête de Nice et de la Savoie par les armées révolutionnaires. Et en 1910, le cinquantenaire du traité de 1860. Ces commémorations ne font pas, en leur temps, l'unanimité, car elles ont lieu dans un contexte de querelle entre laïcs et cléricaux. 

Or, la Savoie est justement à la fois laïque et cléricale. En cela, le cas savoyard est représentatif des oppositions nationales. Il y a un siècle, ceux qui célèbrent l'annexion sont les républicains. En 1910, la diaspora savoyarde parisienne, qui est importante, est aux commandes de ces festivités. Ces Savoyards de l'extérieur "qui ont réussi" célèbrent alors la petite patrie dont ils sont issus et encouragent une vision folklorique, mythique, costumée. On se réinvente alors un terroir. 

Bruno Berthier: En 1960, en revanche, pour le centenaire du traité, tout le monde est d'accord, et c'est un déploiement de fastes extraordinaires lorsque de Gaulle vient à Chambéry. Nous sommes au temps des Trente Glorieuses, de la prospérité.  Et la Savoie, qui, au départ, était très pauvre, vient d'opérer son décollage économique grâce à la houille blanche (l'énergie hydroélectrique) et va bientôt profiter des retombées de l'or blanc (les sports d'hiver). Après le temps de l'émigration, cette terre commence à reconquérir des habitants et s'enrichit. C'est une commémoration bleu blanc rouge, patriotique et hexagonale. On sort de la guerre et on vante les vertus de la Résistance locale. Il n'y a pas de mouvement autonomiste. Pour la dernière fois, ce sont des Savoyards de souche qui fêteront l'événement. 

Aujourd'hui, près de 50 % de la population des deux départements sont des néo-Savoyards. Cela change-t-il la donne?

B. B. Oui et non. Vous seriez surpris de voir combien ces nouveaux venus sont soucieux de s'intégrer et curieux de l'Histoire, des racines de la Savoie. Souvent, ils sont même plus soucieux que les autres de défendre ce patrimoine et ces traditions. 

P. J. L'actuelle commémoration s'apparente plutôt, à mon avis, au contexte de l'annexion de 1860. Tout comme aujourd'hui, à l'époque, on sortait d'une crise et l'on s'interrogeait sur le devenir possible de cette région. Comme en 1860, le contexte est européen. Et comme en 1860, on est à un tournant historique. Quelle est la place de la Savoie dans l'Europe? Est-ce un lieu avant tout alpin ou doit-elle au contraire s'inscrire dans un ensemble plus vaste? Cela amène à la question complexe de l'identité. 

Justement, à l'heure où l'on parle beaucoup d'identité nationale, existe-t-elle, cette identité savoyarde?

P. J. En 1860, cette notion est très instrumentalisée par l'Eglise, qui tente de présenter la Savoie comme une terre catholique, quand la réalité est plus complexe. Ici, l'attachement identitaire s'ordonne d'abord autour du village, de la paroisse, de la commune, bien plus que dans d'autres régions françaises. C'était déjà vrai en 1860, et les fonctionnaires de passage notent souvent qu'à leur avis tout, en Savoie, se résume à des "querelles de clocher". 

B. B. Exact, et pourtant il faut nuancer. Pour tout le monde, la Savoie, c'est la raclette, les marmottes, le ski, les chalets, les géraniums: bref, la montagne. Mais on n'y fait pas que du fromage, on y cultive aussi la vigne, le tabac. L'identité savoyarde est plus subtile que la simple identité montagnarde. En même temps, aujourd'hui, cette identité ne peut être qu'européenne et transalpine. Elle ne passe pas non plus par ce véhicule traditionnel qu'est la langue, car le parler local est aussi celui du Forez, de la Suisse romande, du bas Dauphiné, du Val d'Aoste.  

Au fond, le vrai lien entre les Savoyards est peut-être l'attachement à l'Histoire plus qu'à un milieu naturel. Il existe ici une très grande curiosité, voire une passion pour les racines. On ne compte plus les associations, les sociétés savantes qui se penchent sur ces questions. L'identité savoyarde est d'abord liée à son histoire. 

Comment les néo-Savoyards peuvent-ils adhérer à cette histoire qui ne leur appartient pas vraiment?

B. B. Disons qu'ils tentent de se l'approprier en s'y intéressant. J'ai participé à des soirées où vous trouvez des gens venus de partout, de Paris ou d'Angleterre, qui se retrouvent pour manger les produits du cru, enfiler les costumes locaux, épouser les coutumes alpines, boire les vins de Savoie. Et je suis l'historien de service invité à ces rassemblements pour répondre aux questions qu'ils se posent. En même temps, hélas, nombre de Savoyards, y compris de souche, ignorent encore leur passé collectif. 

P. J. En 1960, ce sont les autorités de l'Etat qui supervisent les festivités, tout vient d'en haut. Alors que la floraison de projets actuelle vient d'en bas, des associations, des villages. L'administration se charge de canaliser ces désirs, d'organiser ces envies, de trier ces idées. 

Y a-t-il encore des gens qui contestent le rattachement?

B. B. Oui, des autonomistes, qui représentent peu de monde et sont divisés. Leur discours est très anti-Etat, antifiscal, anti-Paris. Ce qui est un peu paradoxal puisque l'on compte plus de Savoyards de souche et de coeur en région parisienne qu'ici. Mais les autonomistes ont le mérite d'animer le débat, notamment sur cette vieille question: l'opportunité de créer une région réunissant les deux départements savoyards. 

La réforme des collectivités territoriales va-t-elle dans ce sens?

B. B. L'extension éventuelle des pouvoirs de la région Rhône-Alpes passe mal. Les Savoyards n'ont aucune envie qu'on les assimile aux Lyonnais ou aux Grenoblois. Ils ne veulent pas de cette dilution dans des régions, des agglomérations, où se perd l'identité villageoise. 

P. J. La Savoie du Sud-est, sur bien des points, plus proche de la France. Et la Savoie du Nord, plutôt attirée par Genève, sa capitale naturelle, son poumon économique, surtout à l'heure du travail transfrontalier. Genève peut même se sentir plus proche de la Savoie du Nord que de la Suisse alémanique.  

Il faut savoir qu'à l'époque des Lumières la ville de Calvin était une sorte de Hongkong, de Macao. C'était la plaque tournante de tous les trafics. Celui des indiennes, du tabac. C'est là que se retrouvaient tous les espions, tous les escrocs. Bref, Genève comptait plus que Lyon. Pour certains, cela est toujours vrai.  

petite Histoire

Alerte ! Les Savoyards inondent la capitale ! »

Quand une affiche réclamait un impôt sur les “étrangers” venus des Alpes

Ce texte a été retrouvé par L’Académie salésienne, d’Annecy. Fondée en 1878, elle constitue l’une des plus prestigieuses Sociétés savantes de Savoie à caractère scientifique, historique et littéraire. Le document est une affiche placardée sur les murs de Paris dans les années 1850 par un anonyme qui signe “un ouvrier”. Il en dit long sur le climat de l’époque dans la capitale, dix ans avant que la Savoie devienne française. « Des étrangers, les Savoyards, inondent la capitale. Cette peuplade envahissante porte un grand préjudice au pays. Ne serait-il pas temps d’y mettre un terme et d’arrêter ce torrent qui déborde sur la France? » La réponse suit : « Le gouvernement doit protection à la classe ouvrière…

Est-il juste que des étrangers viennent moissonner les ressources du pays ? Il y a en France 94 000 Savoisiens.

Ils sont économes, gagnent beaucoup et dépensent peu. Le moins qu’ils peuvent mettre de côté chaque année s’élève au minimum à 500 francs. Je ne veux pas qu’on dise que j’exagère : je réduis cette somme de moitié ; je multiplie 250 par 94 000 : cela donne la somme de 23 millions et 500 000 francs !

Cette somme est enlevée au commerce de détail. Soyons généreux, mais que cette générosité ne soit pas douloureuse! »

« De quelle utilité nous sont les Savoyards ? Quelle industrie ont-ils apporté en France ? Si ce n’est celle de nous agripper nos pièces de 5 francs ! »

“La banque, le Trésor, les messageries, les hôtels de vente, tous les grands établissements : partout des Savoyards…”
« Les commissionnaires de tous les chantiers de Paris sont Français. Mais le travail est enlevé par les Savoyards et ces malheureux restent les bras croisés. À toutes les stations des chemins de fer : partout des Savoyards! La banque, le Trésor, les messageries, les hôtels de vente, tous les grands établissements : partout des Savoyards…

Ils envahissent jusqu’aux sellettes des malheureux décrotteurs, les ponts, les quais, les boulevards, les rues : toujours des Savoyards! » « Les pièces de 5 francs qui entrent dans leur gousset n’en ressortent plus ! En Savoie, ils appellent la France leur Californie. Expatriez-vous, Français ! Faites place aux Savoyards! On a bien crié, bien fait du bruit contre les Jésuites, mais les Savoyards sont mille fois plus, onéreux par leur empiétement continuel… »

« Ce n’est pas tout : ils ont causé la ruine de plusieurs de nos établissements ; ils empêchent beaucoup d’autres de se former.» « S’ils n’étaient pas là, on ne verrait plus d’ouvriers sans ouvrages, plus de domestiques sans place, plus de vagabonds… » « Il y a parmi eux des fils de fermiers, des gens aisés. Seuls les malheureux restent dans leurs pays pour cultiver les terres. »

Venons-en à l’impôt : « Serai il donc injuste d’exiger une parcelle des trésors qu’ils nous enlèvent chaque année ? Ne serait-il pas bien de leur imposer de payer un impôt (patente) de 2 Francs par mois, 24 Francs par an : cette somme serait affectée à quelques maisons de retraite, pour des personnes âgées et sans ressources ?… Cette pétition, devant être présentée de nouveau à la Chambre nouvelle, est-il un Français riche comme pauvre, qui refuserait de donner son adhésion ? »

La conclusion : « Signaler un abus, c’est faire acte de bon citoyen »

 

Texte retrouvé par l’Académie salésienne, Annecy. Fondée en 1878, elle constitue l’une des plus prestigieuses Sociétés savantes de Savoie à caractère scientifique, historique et littéraire.